Première interview :

Publié le 06/10/2014 à 08:23 par xynthiaparolesdesinistres Tags : sourire moi air congo homme enfants monde heureux femme revenu

 

Je reçois ce monsieur qui travaille pour la radio et qui se présente avec un sourire de circonstance et se tient prêt à repartir si je montre le moindre signe d'hostilité.

Mon sourire le rassure.

J'appelle tout de même mon père et le convaincs de répondre aux questions de ce reporter car, après tout, c'est lui, le véritable sinistré, moi, je ne suis présente que pour soutenir mes parents.

Je me mets donc en retrait et écoute leur conversation.

Tout d'abord, le journaliste à l'air d'étudier mon père, voir si ses réponses correspondent à ce qu'il veut entendre.

Déjà, pour ma part, on ne devrait pas préparer le terrain, sinon on perd le charme du spontané, mais bon, voyons la suite.

Après quelques questions, réponses similaires, et le tour est joué, tout est dans la boîte !

Surprise, je m'approche du journaliste et, à mon tour, je le questionne.

Pourquoi ne pas aborder la question du touriste morbide, celle des dons qui n'arrivent jamais aux sinistrés, des dix-huit mille sinistrés qu'on méprise car ils ne sont pas dans la zone noire, des pillages à répétition et ...

"Hop, hop, hop ! Ce sont des questions très intéressantes, hélas, pour le moment, je n'ai pas le temps de m'en occuper, mais je vous promets que je vais repasser. Premièrement, pour faire écouter à votre père le reportage qui va passer demain, sur les ondes, et ensuite, pour étudier tout ce que vous avez à dire sur ces différents sujets qui m'ont l'air passionnant !"

Je le quitte donc, avec le sourire jusqu'aux oreilles, car je venais de démontrer à mon père qu'un journaliste était tel que je l'avais décrit.

Cette joie fut éphémère car le journaliste en question n'est jamais repassé.

Lui laissant le bénéfice du doute, je me suis dit qu'il avait peut-être été envoyé au Congo pour retrouver le chaînon manquant entre l'homme et le primate.

ça m'a fait penser à l'arche de Zoé, on n'a jamais eu de nouvelles concernant les enfants qui n'ont jamais décollé. Que sont-ils devenus ? N'étaient-ils qu'un enjeu politique ? Et pourquoi ne plus en entendre parler, alors que de la façon dont ça s'est déroulé, on nous faisait croire que tout le monde était concerné par leur avenir. Un avenir apparemment éphémère vu que, maintenant, plus personne ne s'en soucie. Peut-être sont-ils heureux ou peut-être sont-ils morts dans le plus grand anonymat sans que ça ne fasse ni chaud ni froid à ceux qui s'offençaient de la façon dont on les traitait, quelques temps auparavant.

Ce jeu diplomatique est cruel et inhumain, soit on s'en occupe, soit on n'intervient pas, mais faire semblant n'a jamais rien amené de bon et manipuler les gens ne devrait plus être de notre époque !

 

Pendant ce temps, d'autres journalistes ont franchi ma porte.

Certains rentraient sans se présenter :

"Est-ce votre maison principale ?"

"Non !"

Et ils repartaient sans plus d'explications.

D'autres n'écoutaient en rien mes réponses :

"Êtes-vous locataire ?"

"Non, c'est mon grand-père qui a construit la maison, il y a une quarantaine d'années !"

La journaliste étudie sa fiche vierge d'un air grave, comme si elle avait pris de précieuses notes.

"Oui, effectivement, et donc, votre grand-père, lorsqu'il a acheté la maison, lui a-t-on dit que le terrain était en zone inondable ?"

"Vous n'écoutez donc rien de ce que je vous dis ? Il me semble vous avoir déclaré, il n'y a pas trente secondes de ça, que c'était mon grand-père qui l'avait construite à la sueur de son front !"

"Très intéressant, vous y vivez à l'année ?"

J'essayais de garder mon calme pour répondre correctement et clairement à cette femme qui, me semble-t-il, avait plus envie de rejoindre les bras de Morphée qu'autre chose.

"Non, ceci est une maison de locations saisonnières, le seul revenu annuel de mes parents !"

"Ah, donc vous êtes moins à plaindre que vos voisins ! Ce n'est pas votre sujet qui m'intéresse, je préfère voir les vrais sinistrés !"

Retenez-moi ou je lui fais avaler son micro par un orifice dont elle-même ignore jusqu'à l'existence !

Elle vient, par cette simple phrase cinglante, de minimiser mon existence et celle de mes parents, sans réellement en avoir pris conscience. Mon manque de réplique me fait défaut, et je la laisse donc s'éloigner sans lui faire goûter au métal de son micro.

Je ne m'étonne pas qu'après, les journalistes n'aient pas un accueil très chaleureux, s'ils crachent sur des personnes qui ne leur ont rien fait et qui gentiment leur offre de leur temps surchargé.

Juste après son passage, un jeune reporter débarque, sûrement sa première interview.

Lui prend plus de gants pour me dire que mon cas ne l'intéresse guère, mais qu'il cherche désespérement quelqu'un qui y loge à l'année.

Il me dit que, depuis ce matin, il n'arrête pas de se faire jeter et que personne ne veut lui accorder cinq minutes de son temps. Je lui explique qu'avec le comportement de sa collègue, cela ne me surprend guère. Et je lui propose de l'accompagner pour lui faciliter l'accès auprès des personnes âgées qui me connaissent.

Il me remercie, et je me demande moi-même pourqoi je fais ça, alors qu'eux ne prennent pas le temps d'écouter le cas des sinistrés. Mais, ayant reçu une certaine éducation de la part de mes parents, je me dis que lui n'a pas à pâtir du non savoir-vivre de sa collègue.